KULTURJOKER / INVENTAIRE / 16.3.2022

KULTURJOKER, 16 mars 2022 (traduction)

Par Annette Hoffmann

Pas de trois. "INVENTAIRE" de la Compagnie La petite x a fêté sa dernière à Art'Rhena

Sur la scène de la grande salle d'Art'Rhena, une lumière chaude éclaire une corbeille de mandarines. En ce jour de Dernière, le temps dehors est sombre et orageux. Dans la grande salle, en contraste, l'ambiance est intimiste. Des meubles sont disposés de part et d’autre de la scène : une table, des chaises, une lampe, un guéridon. Ces meubles semblent avoir traversé le temps sans qu’on n’ait jamais eu le besoin ni l’idée de les changer tant ils dégagent une solidité à toute épreuve. "Inventaire" de la Compagnie La Petite x est une coproduction entre le E-Werk de Fribourg et le Centre culturel franco-allemand Art'Rhena, situé sur l'île du Rhin à Vogelgrun. Cette démarche binationale est redoublée sur scène. Frédéric Werlé est français et Kai Brügge allemand.

Ce qui différencie les deux danseurs est tout aussi net que ce qui les unit. Certes, une bonne génération les sépare et Brügge est visiblement le plus agile, mais leurs crânes sont tout aussi dégarnis. Ils semblent être des alter egos, en plus jeune ou plus âgé. La chorégraphie de Claire Pastier et de Daniel Rakovsky exploite l’effet comique de cette ressemblance. La pièce débute lorsque, vêtus d’un pantalon noir et d’un pull bordeaux, les danseurs se tiennent côte à côte puis, dans un mouvement de pendule, se mettent à balancer lentement la tête de droite à gauche avant que celle de Brügge ne rebondisse sur le torse de Werlé. Quelques instants plus tard, ce dernier fera des saluts au public en empruntant les postures d'un acteur de théâtre classique. Pastier et Rakovsky jouent sur les différences de morphologie et d'agilité tant dans les figures au sol que dans les portés.

Aux côtés des deux hommes figure un autre protagoniste. Il s'agit de la maison normande dans laquelle Daniel Rakovsky a passé une partie de son enfance. Lorsque ses grands-parents sont décédés, la famille a décidé de se séparer de la maison. Avant qu’elle ne soit vendue, de bons esprits l’ont investie. La compagnie La Petite x y a tourné un film, intitulé « 10 Chambres », comme un hommage surréaliste à tout ce qui a été vécu dans ce lieu qui n’existe plus que par fragments. Les deux chorégraphes ont intégré dans leur pièce des extraits de films avec Kai Brügge et Frédéric Werlé. On les voit grimper sur des meubles ou assis sur le canapé, devant la cheminée, pencher la tête d’un côté puis de l’autre comme les pendules d’une horloge. Sur scène, Brügge dessine un quadrillage sur sa poitrine : celui-ci ressemble à la reproduction du tableau de Mondrian posée contre le mur, mais il pourrait tout aussi bien s'agir du plan de la maison dont le danseur nomme les différentes pièces.

La tonalité mélancolique et joyeuse, parfois loufoque, quelque part entre le pathos et le comique, caractérise la pièce de danse "Inventaire", dont la durée dépasse les 70 minutes. L'adieu à la maison est le thème général de cette soirée ; après avoir été déplacés un nombre incalculable de fois, les meubles sont entassés les uns sur les autres, en contraste avec la scène à présent vide. Peut-être attendent-ils une nouvelle vie dans la cave d’un sous-sol ou dans un box. La maison, que la pièce « Inventaire » cartographie dans l’espace et par la parole, permet de déployer toutes ces dimensions. Mais il s’agit également d’une image, la maison comme métaphore de l’espace de la scène, sur laquelle tous ces univers peuvent se déployer.

La compagnie La petite x a réussi un adieu qui porte aussi en lui un commencement.

L’article en version originale allemande est accessible sur : https://www.kulturjoker.de/inventaire-der-compagnie-la-petite-x-feierte-in-der-artrhena-derniere